Pour arriver à la Ferme de Trévero il faut sillonner les routes de l’arrière-pays morbihannais : on passe dans des petits villages puis on aperçoit des haies, des bois, des bocages et enfin un panneau qui nous indique que nous sommes arrivées à destination. La Ferme de Trévero quand on les croise sur le marché de Vannes, la plus grosse ville à proximité, ce sont des œufs en vrac, mais aussi des rillettes, des saucisses de porcs, de la viande de bœuf, de la farine de millet, de blé, de petit épeautre et de blé noir, des lentilles, de l’huile de colza, du jus de pommes, des patates, etc. Une liste impressionnante de produits alimentaires bio qui sont cultivés et produits sur les 90 hectares dans le centre du Morbihan que nous sommes allées visiter. Car derrière toutes ces victuailles il y a une équipe à rencontrer : Alice, Bleuenn, Nico, Mikael et enfin Benjamin et Régis les deux associés de la Ferme.
Il y a 4 ans, en 2017, la ferme de Trévero c’était autre chose : une ferme en élevage laitier intensif avec des vaches sur caillebotis intégral. Une ferme certes moderne et rentable mais à 1000 lieues de ce qu’elle est aujourd’hui, une ferme diversifiée en agriculture bio et à l’esprit collectif qui joue un rôle environnemental et social important sur le territoire. Récit d’une transformation.
Reportage photo : Rébecca Trouslard
La Ferme de Trévero, enjeux et rebondissements d’une transmission de ferme laitière
Louer plutôt qu’acheter : une décision mûrement réfléchie
Lorsque Benjamin et Régis décident de s’installer ils savent déjà qu’ils devront reprendre une ferme laitière. En effet au vu de leur cahier des charges qui incluait un minimum de 80 hectares et un parcellaire d’un seul tenant en Bretagne, il était clair que les fermes qui correspondraient à leur attente seraient des fermes laitières à convertir. Les fermes porcines, nombreuses en Bretagne, sont beaucoup plus compliquées voire impossible à reprendre à cause de la taille et de la spécificité des bâtiments.
Au vu de la taille de ferme recherchée pour leur projet agricole, ils savaient également qu’ils n’auraient pas les fonds suffisants pour devenir propriétaires. Ne voulant pas devenir locataires en direct, car cela implique d’être “dépendant” d’un propriétaire et de son bon vouloir, le duo décide de passer par Terre de Liens, un acteur historique offrant la flexibilité de financement et une sécurité sur le long terme grâce au bail rural environnemental. Le plan est donc de trouver une ferme en vente que la foncière Terre de Liens peut acheter pour ensuite la louer à Benjamin et Régis.
Après une vingtaine de visites ils trouvent une ferme qui leur convient : la ferme de Bernard à Sérent dans le Morbihan, actuellement une ferme de vaches laitières de 90 hectares.
La période de transmission : une période complexe du point de vue humain
Lors d’une reprise de ferme d’une telle ampleur, il est essentiel d’avoir une période de transition. C’est indispensable pour apprendre à connaître la ferme, ses parcelles et des éléments, simples mais qui peuvent être très bloquants si l’info n’est pas transmise, comme la localisation des vannes d’eau ou le fonctionnement de l’électricité.
Benjamin et Régis ont passé un an et demi sur la ferme laitière avant la vente. Le moment de transmission n’était pas le plus simple pour eux : si elles étaient parties sur des bases plutôt bonnes avec le cédant, les relations se sont dégradées au fil des mois. Aujourd’hui ils regrettent d’avoir fait trop d’accords à l’amiable, sur un coin de table et non ratifiés avec un avocat ou un organisme tiers. Ils se retrouvent avec des litiges en cours pour des détails. Leur conseil est d’éviter un maximum ce genre de situation en se faisant accompagner par des juristes et des avocats et en ne réglant rien à l’amiable. “Il faut considérer que l’on va se fâcher avec le cédant.” Car pour l’agriculteur·rice sortant·e le moment n’est pas toujours évident : il ou elle laisse à d’autres un travail de toute une vie, parfois même de plusieurs générations et des émotions peuvent venir biaiser et fausser les rapports humains.
Benjamin et Régis considèrent qu’il y a une vraie complexité dans le système de transmission actuel et que les porteurs et porteuses de projet mais aussi les cédants ont besoin de plus d’accompagnement dans ces moments. Car on demande aux agriculteurs et agricultrices de maîtriser des éléments juridiques et légaux qui ne leur serviront qu’une ou deux fois dans leur vie.
Pendant cette année et demie, Benjamin et Régis ont aidé le cédant dans son activité : traite des vaches, vente des génisses à l’export, etc. un projet agricole assez lointain du leur en somme mais qui leur a permis de s’approprier la ferme. Ils en ont d’ailleurs profité pour ranger et vider les lieux et ont évacué des centaines de mètres cubes de déchets qui sont partis à la décharge. Rien que vider une des granges, remplie du sol au plafond de bric-à-brac a fait l’objet d’un chantier participatif et leur a pris une semaine entière.
La transformation de la ferme laitière en une ferme diversifiée
La ferme avait une stabulation moderne, un système laitier rentable et était techniquement parfaite. Beaucoup d’éléments étaient vendables et le propriétaire a pu valoriser ses investissements. Par exemple, ils ont très bien vendu le robot de traite de la ferme sur le Bon Coin. Pour eux il est plus facile de reprendre une ferme laitière moderne, même si les investissements ne sont pas encore amortis et qu’elle est donc plus chère, car les éléments se revendent bien. Alors qu’une ferme laitière à l’arrêt avec une ancienne stabulation et une salle de traite peu moderne a des actifs qui ont certes encore une valeur d’usage mais qui se valorisent très mal sur le marché de l’occasion.
Dans le nouveau fonctionnement de la ferme de Trévero, chaque élément et bâtiment de la ferme laitière a trouvé une place et une utilité. La stabulation principale, qui était sur caillebotis intégral, est devenue un espace de tri, de séchage et de stockage des céréales. L’ancienne fosse à lisier dans ce bâtiment (qui n’avait jamais été nettoyée… sûrement le chantier le plus réjouissant pour Benjamin et Régis à la reprise) permet de donner une hauteur sous plafond très utile pour le stockage et le tri des céréales. Dans ce même bâtiment, l’infirmerie des vaches est devenue un atelier.
Les silos à maïs sont également aujourd’hui un espace de stockage de matériel. La stabulation des génisses est en cours de travaux (étanchéité, dalle de béton au sol, etc.) afin de devenir un atelier et établi pour tous les travaux mécaniques et l’auto-construction nécessaire à la ferme. C’est dans ce bâtiment que se rangent également les tracteurs et l’imposante moissonneuse-batteuse. Un autre hangar est en cours de travaux pour être utilisé comme l’antenne Grand Ouest de l’Atelier Paysan, malheureusement un incendie est venu retarder ce chantier.
La maison d’habitation est toujours un logement et elle est devenue en outre un lieu de vie collectif au rez-de-chaussée : c’est là que sont pris les déjeuners en commun, où s’organisent les réunions et où se tiennent les soirées. Enfin, une autre longère qui tombait en ruines a été sécurisée grâce à un chantier participatif et devrait être à terme un espace de réunion et de vie, avec une cuisine de collectivité. Un petit local de vente y est attenant.
La Ferme de Trévero : une ferme diversifiée pour avoir un système agronomiquement et écologiquement cohérent
Assez vite et tout au long de leur recherche, le projet de Benjamin et Régis avait une ambition assez claire : monter une ferme diversifiée c’est-à-dire une ferme en polyculture-élevage dans laquelle les ateliers sont complémentaires au point de vue écologique et économique. Et s’ils l’ouvrent à la visite deux après-midi par mois, c’est parce qu’il n’y a rien à cacher et que leur mode de production est en accord avec leurs valeurs, tant concernant le bien-être animal que le respect de l’écosystème et la justesse environnementale du lieu. Sur les 90 hectares de la ferme, 10 hectares sont de la forêt, 10 hectares sont en prairies permanentes, 15 hectares sont en prairies temporaires ou en parcours pour les animaux et 55 hectares sont en cultures. Tout est mis en place pour que le sol puisse se régénérer. Les bois et les haies aux alentours sont préservés ainsi que les zones humides et tourbières qui sont voisines aux terres de la ferme.
Des ateliers d’élevage qui valorisent les co-produits et les prairies
Benjamin avait depuis longtemps en tête son modèle d’élevage idéal. Deux principes de base pour lui : le plein air intégral et l’autonomie alimentaire.
Et cela se décline sur les différents ateliers. L’atelier porcin d’abord. Les porcs de la race Duroc, une race rustique mais qui reste néanmoins suffisamment productive du point de vue économique, sont répartis sur 5 hectares, bientôt 10, à mi-chemin entre la prairie et le bois. Trois espaces accueillent les cochons : une maternité, une parcelle pour les truies gestantes et une parcelle pour l’engraissement. Neuf truies naviguent dans ces espaces, ainsi qu’un verrat, Roupette.
Au moment de notre visite, c’est l’heure de leur repas : l’arrière du pick-up de Benjamin est rempli de patates. Parce que c’est là où se fait la cohérence de la ferme : les animaux se nourrissent quasi uniquement de produits impropres à la consommation humaine. Dans ce système on retrouve un cercle vertueux où l’animal valorise ce que l’on ne peut consommer : de l’herbe, des coproduits des céréales comme le son de blé ou le tourteau de colza ou alors des légumes déclassés comme ici les patates. Si quelques exceptions sont faites occasionnellement pour garantir l’alimentation équilibrée des porcelets en cours de sevrage par exemple, ce principe est valable sur tous les ateliers d’élevage de la ferme. Benjamin insiste sur le fait que l’élevage ne peut se justifier que dans ce cas-ci. Les cochons consomment donc des patates déclassées de la ferme ainsi qu’un mélange de son de blé et tourteau de colza.
Le chemin qui nous mène aux cochons depuis le magasin de la ferme donne déjà une idée du type d’endroit que nous visitons : on est encore dans les sous-bois que l’on aperçoit une dizaine de porcelets qui cavalent dans leur enclos sous les arbres et au milieu des glands et des feuilles mortes, ce sont les enclos de la maternité. Benjamin nous présente les truies qui ont mis bas au cours des deux derniers mois. On salue de loin Chips qui, par son attitude territoriale, nous dissuade efficacement de s’approcher trop près de ses porcelets. Pour l’instant la reproduction des truies se fait via le verrat mais également par insémination artificielle. Un verrat suffit pour inséminer neuf truies et Benjamin a tout le scénario en tête pour parvenir à faire en sorte que la reproduction de toutes les truies se fasse naturellement. Cela exige à la fois une bonne synchronisation de chaleurs mais également une maîtrise fine des schémas de reproduction des porcs. Car oui l’élevage de porcs est une affaire de précision : la truie a un temps de gestation exact de 3 mois, 3 semaines et 3 jours. Chaque portée donne une dizaine de porcelets ; les porcelets restent avec leur mère pendant environ deux mois avant d’aller aux enclos d’engraissement où ils resteront entre 5 et 7 mois le temps de dépasser les 170kg et d’être abattus. L’abattoir est à Vannes, à trente minutes environ de la ferme. Un projet d’abattoir coopératif de proximité est en cours de finalisation afin d’avoir une traçabilité et une transparence jusqu’au bout de la chaîne et de diminuer le temps de trajet pour les animaux.
Dans le voisinage des cochons on retrouve l’atelier poules avec pas moins de 4 poulaillers mobiles pour 990 poules. Les poulaillers sont déplacés chaque semaine afin que la prairie puisse se régénérer et que les poules disposent de nouveaux coins à explorer et fertiliser. Ces dernières sont achetées prêtes à pondre à 18 semaines et la ferme veut développer à terme sa propre poussinière. D’abord pour avoir une meilleure traçabilité sur la qualité de vie des poules dès leur naissance et également parce qu’aujourd’hui ils n’ont pas de choix de race de poules, celles disponibles en poulettes sont les mêmes que celles qui partent en bâtiment dans les élevages intensifs en bio. Ils aimeraient pouvoir aller vers des races plus adaptées pour trouver un bon compromis entre rusticité et productivité. La situation est complexe pour les poules car comme nous l’explique Benjamin “une poule pondeuse d’élevage intensif c’est une Formule 1, tu ne peux pas la faire rouler sur une route de campagne.” C’est-à-dire que le moindre changement d’alimentation ou même l’odeur de lisier de l’élevage de porcs en bâtiments voisin va faire chuter le taux de ponte et créer une baisse des revenus. Le tout est de trouver des poules adaptées à la vie en plein air qui restent pertinentes d’un point de vue économique.
Aujourd’hui l’alimentation des poules est partiellement produite sur la ferme, c’est un mélange de coproduits des céréales et tourteau de soja (achetés à l’extérieur). Ils souhaitent développer leur propre aliment maison même si à nouveau c’est complexe car les poules sont très exigeantes : étant au départ des animaux omnivores, elles ont besoin d’un apport en protéines et le soja remplit très bien ce rôle. La poule est aussi un animal forestier et c’est pour cette raison que Régis et Benjamin ont décidé d’implanter 200 arbres sur le terrain des poules : pommiers, poiriers, noisetiers, brugnoniers, pêchers, etc. que des variétés locales pour avoir à terme un verger établi. Les bénéfices sont doubles : les poules bénéficient de l’ombre des arbres, sont cachées des prédateurs aériens (les buses) et se nourrissent des insectes qu’elles trouvent près des troncs. Tandis que Les arbres se voient nettoyés d’une partie de leurs parasites et bénéficient d’une fertilisation grâce aux fientes de poules.
Le dernier atelier représenté est l’atelier bovin viande avec une vingtaine de bêtes de race Limousine qui paissent tranquillement sur les différentes prairies permanentes et celles issues de la rotation des cultures.
Le plein air intégral convient complètement aux bêtes qui peuvent ainsi vivre dans leur habitat naturel, c’est aussi un choix agricole qui permet de minimiser les investissements en bâtiments. Cependant au vu des recrudescences de cas de grippes aviaire et de peste porcine, les nouvelles mesures de biosécurité rendent l’élevage en plein air de plus en plus coûteux et compliqué à mettre en place. Ainsi la ferme de Trévero a dû investir plus de 20 000 € en 2020 pour mettre en place des clôtures spécifiques et d’autres infrastructures comme un sas sanitaire et des portails.
Un atelier céréales diversifié et amené à grandir
Si Benjamin est spécialiste des ateliers élevage, Régis est l’homme derrière les céréales. D’ailleurs c’est lui qui officie au volant de la moissonneuse-batteuse que la ferme a acquise il y a quelques années. Le choix d’acheter une moiss’-batt’ même d’occasion semble un peu fou pour une ferme de cette taille et cela s’explique par la grande diversité des cultures en place. Ce ne sont pas moins de 17 variétés de céréales qui sont cultivées, sur des espaces qui vont de 1 à 10 hectares. Chaque culture demandant un timing de récolte différent. De plus ce sont des céréales à destination de la consommation humaine, elles ne peuvent donc souffrir d’attendre trop longtemps sur pieds au risque de voir leur qualité se dégrader. Il était donc impossible pour eux de faire appel à un autre agri pour leur moisson car ils devaient maîtriser cette action clé. .
Aujourd’hui ils cultivent de nombreuses variétés de céréales dont le millet, le blé noir, l’orge brassicole, le petit épeautre, le blé, le seigle, le chanvre mais aussi les lentilles, les lentilles corail ou le pois chiche. Ils souhaitent se spécialiser dans seulement une dizaine de variétés une fois qu’ils auront trouvé les meilleures cultures pour leur ferme. Cependant il est important de garder un bon niveau de diversification : pour la santé des sols car cela permet une rotation mais aussi “d’assurer” si une récolte est mauvaise. Ainsi cette année la production de lentilles est catastrophique (comme dans tout le reste de la France) mais les autres activités de la ferme pourront compenser le manque à gagner.
Le tri, le séchage et le stockage se font à la ferme dans l’ancienne stabulation des vaches et le décorticage du millet et du blé noir se fait à l’extérieur. De même pour la transformation en farine. Et Régis ne s’arrête pas à la farine : de l’huile de colza est déjà en vente et sera bientôt suivie par de l’huile de cameline et de l’huile de chanvre… On aperçoit quand même une presse à huile qui attend en pièces détachées sur les chambres froides, prête à être montée. Après quelques heures passées en leur compagnie on comprend vite que les projets ne manquent pas sur la ferme !
La ferme de Trévero : l’esprit d’une ferme collaborative
Envies et difficultés
Au commencement donc ils étaient huit, puis sept, puis quatre, puis deux. L’histoire de l’installation de Benjamin et Régis est une bonne illustration des débouchés possibles d’un projet collectif. Parfois ils se réalisent et tout va bien, parfois ils se réalisent et implosent au bout de quelques années et parfois… ils changent de forme avant même l’installation ! Benjamin et Régis, qui se sont rencontrés sur une ferme laitière où Benjamin était salarié et Régis remplaçant, avaient en tête un projet de ferme collective et diversifiée, le groupe de départ était constitué de huit personnes. Ils se sont réuni·es quasi toutes les semaines pendant trois ans pour définir les différents éléments de ce projet commun qui serait à la fois agricole et social avec une ambition d’avoir sur la ferme un lieu de vie et d’accueil d’urgence pour les enfants séparé·es de leurs familles. Lorsqu’ils ont commencé les visites de fermes, ils n’étaient plus que quatre. Les choix géographiques, de calendrier mais aussi des éléments personnels avaient déjà réduit le groupe. Au moment de choisir la ferme de Trévero il n’y avait plus que le duo de Benjamin et Régis avec un projet purement agricole. Ils se sont alors interrogés : est-ce que l’on cherche de nouveaux associés ou est-ce que l’on s’installe malgré tout ? Et ils ont fait le choix de s’installer, parce que pour eux cette ferme correspondait à leurs attentes et à leur cahier des charges très strict, parce que le projet agricole passait avant le reste et ils voulaient avoir une chance de le réaliser. C’est donc à deux qu’ils se sont lancés dans l’aventure de la Ferme de Trévero. La présence d’une équipe était importante pour la paire d’associés voire essentielle. Pour eux une ferme aujourd’hui ne peut être une réussite sans être plusieurs sur le coup, que ce soit pour l’ambiance et le moral, pour la quantité de travail qui peut s’accomplir à plusieurs et aussi pour la possibilité d’avoir plusieurs points de vue sur une situation donnée. Ils ont donc immédiatement pris des salarié·es.
La Ferme de Trévero est sous le format de l’EARL et Régis et Benjamin n’envisagent pas de faire rentrer de nouveaux ou nouvelles associé·es alors qu’ils sont encore en pleine phase d’installation. Ce serait un cadeau ni pour eux, ni pour le nouveau ou la nouvelle venu·e car le temps manquerait pour faire une intégration en bonne et due forme. De plus la plupart des salarié·es sont ici pour une étape d’apprentissage et de formation avant de s’installer eux et elles aussi, donc la question n’a jamais été soulevée. Sur le plus long terme, une fois en rythme de croisière, donc dans 3 à 5 ans, la réponse à la venue d’une nouvelle personne est “pourquoi pas”. Surtout s’ils veulent ajouter une nouvelle activité à la ferme comme paysan boulanger ou élevage bovin lait avec transfo fromagère, comme ils ont pu l’évoquer pendant le repas. En parallèle on évoque les statuts juridiques, l’EARL n’étant pas pour eux le statut rêvé mais il est plus facile de choisir le statut souhaité une fois que les 5 ans post DJA sont passés et que l’on est dans un rythme de croisière. Le parcours d’installation avec un projet à plusieurs est déjà complexe, c’est encore plus le cas si l’on choisit un statut “atypique”, les chambres sont moins habilitées à suivre ces projets. Benjamin pense que le statut de SCOP comme choisi par Bellêtre ou la Ferme des Volonteux n’est aujourd’hui plus viable, le contexte politique ayant changé. Il évoque la SCAEC, un format coopératif très peu connu avec seulement 3 fermes en France qui l’ont adopté dont l’Union des jeunes viticulteurs récoltants (UJVR) de Die (Drôme) qui produit de la Clairette de Die créée en 1961.
Et garder les traits d’une ferme collective
Même si le projet d’installation à sept n’a pas vu le jour, Benjamin et Régis ont voulu garder l’esprit d’une ferme collective pour la Ferme de Trévero. La mission est de la ferme en témoigne : “Cultiver et partager”. Et cela se ressent par d’autres d’éléments.
Par les choix d’habitation d’abord : sur la ferme on retrouve Régis, un couple de coloc, Benjamin et le père de Régis, soit dans la maison soit en habitat léger. Les sacro-saints repas pris en collectivité sont aussi la norme avec le déjeuner qui est préparé à tour de rôle par quelqu’un de la ferme. Et les invité·es sont les bienvenu·es ! Le jour de notre venue, c’était calme, avec seulement 8 personnes à table on se retrouve souvent avec des tablées d’une douzaine de personnes ! Benjamin et Régis ont également directement fait le choix d’avoir plusieurs salarié·es et ce dès la première année. Grâce à cela tout le monde est dispensable sur la ferme -sauf pour deux actes clés : le maniement de la moissonneuse-batteuse qui n’est faite que par Régis et la castration des porcs effectuée uniquement par Benjamin. Cela permet à tout le monde de pouvoir partie en vacances en saison, même les associés. La ferme est aussi un lieu de vie où s’organisent des soirées, des rencontres comme l’AG de l’asso paysanne du coin ou même où se créent des projets comme ce hangar réservé à la nouvelle branche de l’Atelier Paysan. Enfin de nombreux chantiers participatifs ont eu lieu sur la ferme afin de les aider à vider, ranger et rénover les bâtiments en place.
Le vivre ensemble ne suffit pas, si l’on va vers l’esprit d’une ferme collaborative se pose forcément la question des prises de décision et de la gouvernance. Pendant toute la phase d’installation (qui finalement est encore d’actualité) la question n’a pas vraiment eu le temps d’être posée. Benjamin et Régis avaient tant travaillé le projet ensemble en amont qu’ils savaient où ils allaient. Ils se tenaient au courant et échangeaient beaucoup entre deux portes sans vraiment institutionnaliser quoi que ce soit, le temps manquait et c’était le moment de l’action. Puis, quand ils ont atteint le nombre de quatre salarié·es en avril 2021, la question des prises de décision et du partage d’informations a pris de plus en plus d’importance. Avec la multiplication des astreintes et des activités sur la ferme, il devenait aisé de manquer des informations importantes et des frustrations se sont créées et furent exprimées. Depuis, l’équipe a instauré 3h de réunion hebdomadaire le lundi matin : un moment réservé aux échanges d’informations et aux prises de décision importantes. Mais aussi un moment informel pour se retrouver en équipe et resserrer les liens avant d’être un peu éparpillé·es toute la semaine. C’est une première étape dans la gouvernance qui va sûrement dans cette ferme se mettre en place petit à petit, à mesure que les situations émergent.
Merci beaucoup à Benjamin et Régis pour ce temps passé avec nous au cours de nos deux visites et pour nous avoir reçu à déjeuner !
On s’est régalées des rillettes de poule et des oeufs achetés sur place.
Pour aller plus loin...
Rendez-vous sur le Facebook de la ferme de Trévero, trouvez leurs produits aux marchés de Vannes et Malestroit et allez les voir directement sur la ferme les vendredis soir de visite !