Avant-propos : cet article traite principalement des liens entre l’élevage (et donc la consommation de viande et de produits laitiers) et l’environnement (climat, biodiversité, pollution de l’eau, …). Nous n’aborderons pas dans cet article le sujet du bien-être animal. Non pas qu’il soit accessoire, il est loin de l’être, mais parce qu’avant même de se demander comment élever les animaux en les respectant, il faut se demander si nous pouvons les élever sans mettre en péril notre écosystème.
Vous qui lisez cet article, ne vous est-il jamais arrivé de regarder votre saucisson ou votre poulet rôti avec suspicion ? Avez-vous déjà envisagé de devenir végétarien·ne ou de limiter votre consommation de viande et produits laitiers ? N’avez-vous jamais assisté à un débat enflammé au-dessus du gigot du repas dominical entre un·e “viandard·e” et un·e vegan·e ? Vous sentez-vous un peu perdu·e par la quantité d’informations contradictoires qui circulent et les centaines d’enquêtes qui disent tout et son contraire ?
Posons le décor et partons de notre empreinte carbone alimentaire en France : la consommation alimentaire des Français représente un quart de l’émission de gaz à effet de serre (GES) soit 163 méga-tonnes équivalent en CO2 (Mteq CO2). Le secteur de l’alimentation est deuxième sur le podium des secteurs émettant le plus de GES. Environ 65% de ces émissions proviennent de l’étape de production agricole, tandis que les transports sont responsables d’environ 20% et la phase de consommation de 15%. L’élevage quant à lui est responsable de 70% de ces 163 Mteq CO2, soit un peu moins de 20% des émissions de GES françaises.
En parallèle, de plus en plus d’études suggèrent que dans les pays à revenu élevé une réduction de la consommation d’aliments d’origine animale et en particulier de viande rouge, est nécessaire pour réduire l’impact environnemental de notre système alimentaire.
Un des principes de l’agro-écologie est de rechercher les équilibres entre le sol, les animaux et les plantes. Il est donc raisonnable de se questionner sur la légitimité de garder, voire de développer, l’élevage dans des exploitations soucieuses de l’environnement et de son impact sociétal.
Nous vous proposons d’apporter un éclairage sur ce débat qui fait rage. Dans ce premier article nous souhaitons surtout aborder le lien entre l’élevage et l’environnement. Cela commence bien sûr par un état des lieux des impacts environnementaux de l’élevage, particulièrement de l’élevage intensif. Puis nous allons explorer la piste des complémentarités éventuelles entre élevage et cultures végétales dans un écosystème. Enfin nous pourrons examiner s’il existe des modèles d’élevages qui ont des incidences positives sur l’environnement.
Les impacts de l’élevage sur l’environnement
Élevage et environnement : le réchauffement climatique
On parle beaucoup aujourd’hui de l’impact de l’élevage et plus largement de celui des productions agricoles sur le réchauffement climatique, les fameuses émissions des gaz à effet de serre. Rappelons que ces dernières ne se limitent pas au CO2 !
- À l’échelle nationale, près de la moitié des émissions de GES de l’agriculture sont d’abord du méthane, le CH4 (39 Mt CO2e soit 45% des émissions de GES de l’agriculture). Le méthane est principalement émis par l’élevage via la fermentation entérique (oui oui les fameux rots et pets de vache !) et la gestion des déjections animales ;
- En seconde position arrive le protoxyde d’azote N2O, lié principalement à l’utilisation d’engrais azotés, des effluents d’élevage et des résidus de culture, avec 42% des émissions (36 Mteq CO2) ;
- Le CO2 ne représente, lui, que 13% des émissions. Elles sont surtout dues aux consommations d’énergies non renouvelables sur l’exploitation (l’essence pour les tracteurs, la consommation d’électricité pour les machines, etc.).
Élevage et environnement : qualité des sols et de l’eau
L’impact environnemental de l’élevage ne se limite pas aux émissions de GES et au réchauffement climatique. En deuxième lieu vient la dégradation des sols et de l’eau. Lorsque les animaux mangent, défèquent et urinent, respirent et meurent dans une zone spécifique, les cycles d’azote et de carbone (éléments constitutifs de tout être vivant) s’autorégulent et se complètent. Or aujourd’hui dans les élevages intensifs, les animaux mangent des aliments qui viennent d’ailleurs, ils sont concentrés dans des bâtiments fermés puis sont abattus dans des lieux très éloignés. Dans les territoires à haute densité animale, très spécialisés en élevage industriel, on assiste donc à un découplage entre les cycles de l’azote et du carbone qui peut à terme entraîner de forts déséquilibres au niveau des sols.
C’est ainsi que l’agriculture est la première source de nutriments retrouvés dans les eaux de surface et donc la première cause de pollution aquatique. C’est ce que montrent la majorité des études sur les flux de nutriments réalisées dans les pays industrialisés. On pense ici au fameux sujet des élevages intensifs de porcs en Bretagne et de la contamination au nitrate des nappes phréatiques. En effet, les effluents d’élevage (qui sont des nutriments) sont souvent transférés indirectement (infiltration dans le sol, écoulement par l’eau de pluie quand le terrain ne peut plus absorber la quantité de nutriments qui est rejeté) et de façon concentrée vers les milieux aquatiques (nappes phréatiques, cours d’eau, etc..).
Les activités agricoles représentent environ 60 % des fuites en azote (dont la moitié revient à l’élevage) et environ 30 % des fuites en phosphore vers les milieux aquatiques. Or cet enrichissement de l’eau en azote (N) et phosphore (P) contribue à l’eutrophisation c’est-à-dire à un appauvrissement en oxygène des milieux aquatiques. Ce déséquilibre, caractérisé par la multiplication d’algues et de plantes, entraîne une perturbation des écosystèmes, une chute de la biodiversité et provoque la hausse des coûts d’assainissement pour la production d’eau potable. Déséquilibre illustré par le phénomène de la prolifération des algues vertes en Bretagne
Élevage et environnement : compétition entre alimentation animale et alimentation humaine
Outre les retombées directes sur l’émission de GES et la qualité de l’eau, un autre élément de taille doit être pris en compte : la majorité des systèmes d’élevages intensifs nourrissent les animaux avec des productions végétales qui pourraient être directement consommables par les êtres humains. On assiste alors à une compétition entre alimentation pour les troupeaux et alimentation humaine, autrement appelée compétition “feed-food”.
On entend souvent le chiffre de 80% des surfaces agricoles mondiales utilisées pour l’élevage (source : Barbier et al., 2019). Ce n’est pas une donnée que nous avons souhaité conserver pour l’idée de compétition alimentation humaine versus animale. Pourquoi ? Parce qu’une partie de ces surfaces ne sont pas labourables c’est-à-dire que l’on ne peut pas y faire pousser des céréales ou autre production végétale consommable par l’être humain. Ce sont souvent des prairies naturelles exclusivement consacrées au pâturage. Ce ne sont donc pas des terres où l’alimentation animale entre en concurrence avec l’alimentation humaine.
Si nous voulons vraiment illustrer la compétition entre alimentation humaine et alimentation humaine, il nous faut étudier les terres cultivables. Or environ 40 % de toutes ces terres dans le monde sont actuellement utilisées pour produire des aliments pour animaux, alors qu’elles pourraient fournir directement des denrées consommables par l’être humain (source : Mottet et al., 2019).
Si nous nous penchons sur une conversion en protéine, en moyenne en France, pour produire 1kg de protéines animales sous forme de lait, une vache consomme 4,95 kg de protéines végétales . Ceci explique que plus de surface agricole est nécessaire pour produire de la viande ou des produits laitiers que pour une denrée végétale.
Rappelons également que les matières premières utilisées pour l’alimentation des troupeaux français sont produites sur le territoire mais sont aussi importées depuis d’autres pays. C’est par exemple le cas pour les matières premières riches en protéines (en particulier le soja). Selon le GIS Avenir Élevage, la France importe 30% de son alimentation animale (hors fourrage). Or cette importation de la nourriture animale pose un triple problème environnemental :
- Une augmentation de l’empreinte carbone du secteur de l’élevage due au transport des matières premières jusqu’au territoire français. Le transport total d’aliments pour animaux pèse pour un tiers du trafic total et 19 % des émissions de GES causées par le transport dans le secteur alimentaire (4,2 MtCO2) (source: Barbier et al., 2019).
- Une exportation des dégâts environnementaux car ces céréales et protéines végétales sont souvent cultivées en monocultures et à grand renfort de pesticides. Ceci crée des problématiques sanitaires et environnementales dans les pays producteurs.
- La déforestation en masse des espaces forestiers due à l’agrandissement des surfaces cultivables afin de répondre aux besoins mondiaux. Selon un rapport du WWF, entre 2001 et 2010, 4 millions d’hectares (soit 400 fois la superficie de Paris) ont été brûlés pour laisser place à la monoculture du soja, dont 2,6 millions au Brésil. Or 70 à 90% de la production de soja dans le monde est destinée à l’élevage. Si depuis 2016, grâce à un moratoire la part du soja dans la déforestation amazonienne a baissé de 30 à 3%, le problème n’a pas disparu mais a migré vers les pays et territoires voisins, non concernés par ce moratoire.
L’élevage au cœur du paradigme agro-écologique : de la spécialisation vers une complémentarité des productions
Un élevage intensif favorisé par la spécialisation agricole
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, dans un objectif de sécurité et de souveraineté alimentaire, les politiques communautaires européennes ont encouragé les agriculteurs à investir et à se moderniser. L’augmentation rapide du coût du travail, combinée à l’usage des pesticides et des antibiotiques, ont favorisé la spécialisation. Ces techniques ont permis d’une part de simplifier les rotations et d’autre part de concentrer les élevages en limitant les risques sanitaires. Les phénomènes de spécialisation et de concentration des productions, communs à l’ensemble des activités agricoles, ont conduit à une rupture des liens entre productions végétales et animales. C’est la fin du modèle de polyculture-élevage (des céréales et de l’élevage sur une même ferme) qui dominait traditionnellement. Cette rupture a créé de forts déséquilibres dans la répartition de matières et de nutriments entre exploitations et même entre les régions françaises. Les régions à forte densité animale comme la Bretagne se retrouvent avec des excédents de nutriments entraînant pollutions et problèmes sanitaires quand dans les régions comme la Beauce, spécialisées en grandes-cultures, les sols se trouvent appauvris en matière organique.
Arrivé·es devant des impasses agronomiques et faisant le constat des impacts négatifs sanitaires et environnementaux des systèmes hyper-spécialisés, beaucoup d’agriculteurs.trices font le choix de repenser l’ensemble de leur système.
L’élevage associé aux productions végétales : le bouclage des cycles des nutriments
L’élevage jusqu’ici pointé du doigt, se retrouve maintenant au centre des raisonnements pour la mise en œuvre, à grande échelle, des principes de l’agroécologie et de l’agriculture biologique, notamment en raison de son rôle dans le bouclage des cycles des éléments minéraux et du rôle des prairies dans les rotations culturales (principe d’alterner les types de cultures pour pouvoir reposer les sols).
Comprendre ce cycle des éléments en partie bouclé par l’élevage nécessite à nouveau un petit passage technique. Prenons le cas d’une ferme où sont associés élevage et culture (cf schéma suivant). La vache va consommer une partie des ressources produites sur la ferme. Dans le cas le plus vertueux, très peu (ou pas du tout) de céréales et principalement (voir exclusivement) de l’herbe qui est issue de prairies qui sont riches en trèfles, sainfoin et autres plantes de la famille de légumineuses. Ces dernières ont, grâce à une association avec les bactéries du sol, la capacité de transformer l’azote de l’air pour le consommer. La vache va produire du lait et ou de la viande, mais également recycler une partie de ce qu’elle a consommé par ses déjections, qui pourront être utilisées pour fertiliser les cultures. Elle ne produit donc pas ex nihilo des nutriments mais les transforme et permet de les canaliser pour qu’ils soient disponibles aux autres cultures. Le bouclage des cycles des nutriments n’est cependant jamais totalement fermé. En effet, notre ferme va également vendre une partie de sa production pour l’alimentation humaine (les produits animaux compris) et ces éléments sortent du cycle puisque les excréments et les biodéchets humains ne retournent pas fertiliser les cultures. C’est pour cette raison que des start-ups comme Toopi Organics qui cherchent justement à récolter l’urine humaine pour la mettre à disposition des agriculteur·rices sont en train de voir le jour. Des pertes peuvent également survenir par des transferts dans l’eau comme on l’a vu précédemment.
D’autres part, à la différence des engrais de synthèse qui requièrent l’utilisation d’énergie fossile pour être produits, extraits et transportés sur les fermes, les effluents de l’élevage jouent un rôle beaucoup plus important et complexe. L’épandage d’effluents ou les déjections au pâturage apportent de la matière organique, en particulier du carbone et des nutriments qui viennent directement enrichir le sol, réduisant les déplacements de matière fertilisante, limitant ainsi le recours aux carburants. En effet, la matière organique du sol est un facteur déterminant de sa fertilité dans ses trois dimensions : physique, chimique et biologique. La matière organique est perpétuellement en évolution, elle va dépendre des pratiques culturales et de la vie du sol. Elle a également un impact sur cette dernière (fertilité biologique). Elle joue un rôle structurant dans le sol puisqu’elle va permettre d’organiser entre eux, ses différents éléments. Elle diminue sa sensibilité face aux passages d’engins agricoles (en évitant les tassements) et permet de retenir l’eau. Enfin, elle relargue les éléments nutritifs pour les plantes au cours du temps. C’est d’autant plus important dans des systèmes de cultures qui n’ont pas recours aux engrais de synthèse comme les systèmes de cultures biologiques.
L’élevage associé aux productions végétales : la valorisation d’espaces non cultivables
En plus du recyclage des nutriments sur les surfaces cultivées, l’élevage et en particulier les élevages de ruminants (boeufs, vaches, moutons, chèvres) permettent de valoriser les surfaces en prairies non cultivables qui apportent de nombreux bénéfices à l’agroécosystème.
Tout d’abord grâce à leur condition de ruminants, ce sont les seuls êtres vivants capables de transformer l’herbe en calories que l’homme peut assimiler. Ainsi les prairies qui seraient sans les ruminants des espaces non utilisés pour l’alimentation humaine se trouvent valorisées en alimentation.
Les ruminants valorisent également ces surfaces car en broutant l’herbe ils permettent à ces prairies de rester des prairies naturelles et de ne pas se transformer en friche puis en forêts. Les prairies naturelles sont importantes dans l’écosystème agricole puisqu’elles apportent différents services : stockage de carbone, refuge de biodiversité spécifique aux haies et milieux prairiaux et service de régulation (modération des phénomènes climatiques extrêmes, prévention de l’érosion, amélioration de la qualité de l’air, etc.). Par exemple, avoir des espaces en prairies permet de lutter contre les incendies en créant des couloirs entre les espaces boisés.
L’élevage associé aux productions végétales : la valorisation d’une diversité d’espèces cultivées
Avoir de l’élevage dans une exploitation implique la présence de prairies et de cultures fourragères (pour nourrir les bêtes l’hiver). Or cela peut être bénéfique pour les cultures végétales d’une exploitation. En effet, l‘implantation de prairies et de cultures fourragères pluriannuelles (luzerne, trèfle, sainfoin, etc.), qui ont des modes de cultures différents des plantes annuelles (le blé, le froment, le maïs, etc.), permettent une rupture du cycle des adventices (ce que l’on appelle les “mauvaises” herbes) et des ravageurs (pucerons, altises, etc) dans les successions de cultures. Elles sont de véritables leviers dans la gestion du désherbage dans des systèmes de cultures agro-écologiques qui n’utilisent pas d’intrant (donc sans glyphosate pour désherber) et avec un travail mécanique du sol minimal.
L’implantation de couverts en interculture (entre deux cultures qui vont être récoltées, l’agriculteur·rice va semer des cultures destinées à nourrir le sol et à ne pas le laisser à nu), qui peuvent également être valorisés en pâturage ou en récolte pour les animaux, apporte une couverture plus longue du sol et limite les problèmes d’érosion ou de pertes des éléments minéraux par lixiviation (quand les nutriments sont dissous et entraînés par les eaux d’infiltration à la suite de fortes pluies). L’élevage va être un catalyseur des processus naturels en permettant une valorisation optimale des ressources produites sur la ferme, en particulier celles non consommables par l’être humain (les prairies permanentes, les couverts en intercultures qui ne sont donc pas en compétition avec l’alimentation humaine.
Les services éco-systémiques de l’élevage
Il est indispensable de repenser les systèmes d’élevage et de favoriser leurs connexions avec les productions végétales. Ceci afin d’activer des synergies entre les productions et ainsi rendre l’ensemble des activités agricoles plus vertueuses. Les systèmes de fermes en polyculture-élevages, voire même en polycultures-polyélevages avec différents types de cultures végétales (céréales, légumes, légumineuses) et différents types d’élevages (boeufs, moutons, cochons et poules par exemple) sont des systèmes riches qui permettent ces synergies. Dans ce type de démarche, l’élevage va avoir des vertus environnementales. Repassons donc en revue les liens entre élevage et environnement mais avec cette fois le prisme d’un élevage extensif au sein d’une exploitation diversifiée.
Élevage et stockage de carbone
Nous avons vu précédemment que l’élevage est la première source d’émission de méthane dans le secteur agricole et tous secteurs confondus. Une grande partie de ces émissions est liée à la fermentation entérique. Ce processus est naturel chez les ruminants lorsqu’ils digèrent des fourrages. Mis à part en diminuant la taille des troupeaux, la marge de manœuvre pour réduire ces émissions entériques est donc faible. Le poids prépondérant des bovins (boeufs et vaches) dans les émissions totales de méthane s’explique, en partie, par le fait qu’ils sont les ruminants les plus représentés en France.
Cependant, rappelons que ces animaux sont des herbivores et que leur source principale de nourriture, l’herbe, est issue des prairies. Or, les prairies représentent un potentiel d’atténuation de gaz à effet de serre non négligeable, permettant de compenser une partie des émissions de l’élevage. En effet, les sols, et en particulier les prairies et les forêts, représentent le puits de carbone terrestre le plus important après les océans. Sous nos latitudes, le stock de carbone sous un hectare de prairie ou de forêt est proche de 80 tonnes, contre 50 tonnes sous une culture annuelle. Donc l’utilisation des surfaces de prairies dédiées à l’élevage pour des cultures végétales provoquerait un fort déstockage de carbone. Il est important de préciser que le stockage additionnel, c’est-à-dire la quantité qui est stockée chaque année, est de moins en moins élevé au cours des années pour atteindre un équilibre lorsque l’on arrive à la limite de la quantité qui peut être stockée par un sol.
Élevage, enrichissement des sols et préservation de la biodiversité
La présence d’élevage à proximité directe des parcelles qui servent à son alimentation et aux cultures à destination de l’alimentation humaine permet une redistribution locale des effluents sur les sols en culture. L’enrichissement des sols en matière organique améliore la rétention des nutriments et de l’eau, ce qui entraîne une diminution des risques de pollution. Ceci est d’autant plus vrai quand le nombre d’animaux est adapté aux surfaces exploitées, leur permettant de tirer le meilleur des déjections apportées tout en évitant le transfert de nutriments vers l’hydrosphère. On est donc bien sur un élevage pensé en fonction du territoire et de la ferme, et non l’inverse.
D’autre part, les différents modes d’utilisation du sol dans une ferme cumulant culture et élevage offrent une diversité d’habitats très favorable à la biodiversité. Ainsi, des études ont mis en avant une richesse de biodiversité équivalente entre les systèmes prairiaux et les systèmes forestiers, avec dans les deux cas des gradients de diversité liés à leur utilisation et leur conduite. Or les espèces faune et flore, de ces deux écosystèmes ne sont pas identiques. Certains types d’insectes ou d’oiseaux ne se retrouvent que dans les systèmes prairiaux et dans les haies qui l’avoisinent. Il est primordial de préserver cette diversité d’écosystèmes. Le maintien de prairies par l’élevage est donc un atout pour la sauvegarde de ce patrimoine naturel ainsi que pour toutes les espèces endémiques des espaces prairiaux.
Élevage et alimentation humaine : une approche complémentaire
L’enjeu autour de la compétition entre alimentation animale et alimentation humaine est de revoir l’attribution des surfaces et des ressources à l’espèce qui les valorisent le mieux et en mettant l’humain au premier plan. Cela signifie que les surfaces avec le potentiel agronomique suffisant, doivent servir à cultiver des céréales et autres graines consommables par l’humain. Les ruminants peuvent dans un second temps valoriser les fourrages produits sur les surfaces aux faibles potentiels ainsi que sur les surfaces cultivées aux périodes où il n’y a pas de cultures. Dans un troisième temps, en plus des fourrages, les animaux d’élevage peuvent tirer parti des coproduits des cultures (drèches de brasserie, pulpes de betteraves, etc.). Ces coproduits peuvent être considérés, au même titre que les fourrages, comme des ressources alimentaires pour l’élevage non concurrentielles avec l’alimentation humaine. Les animaux d’élevage élevés avec des sous ou co-produits peuvent jouer un rôle crucial dans l’alimentation à l’échelle de la planète (sources : Muscat et al., 2016; Van Zanten et al., 2019). En effet, l’utilisation du bétail pour valoriser la biomasse que les humains ne peuvent pas ou ne veulent pas consommer peut réduire l’utilisation globale des terres : Comme nous l’avons vu précédemment, les vaches vont, par exemple, être les plus à même de transformer l’herbe en protéine de lait ou de viande tout comme les porcs avec le son de blé. Ce gain de surface est plus important que dans des scénarii où l’élevage serait totalement supprimé, puisque dans cette configuration des ressources sont laissées inexploitées (l’herbe des prairies et les co-produits de notre alimentation). Dans ce paradigme de recyclage de toutes les matières, chaque espèce, monogastriques comme ruminants, ont leur place.
Ainsi, comme nous l’avons vu précédemment, une vache française consomme en moyenne 4,95 kg de protéines végétales pour produire 1kg de protéines animales. Cependant, 89% des protéines consommées par le troupeau ne sont pas directement consommables par les êtres humains.
Toutefois, il faut nuancer ce résultat, car au sein des systèmes bovins laitiers français (intensif et extensif), tout comme dans les autres systèmes d’élevage, il existe une diversité de conduites avec un impact environnemental plus ou moins conséquent. Une modification des pratiques d’élevage, comme renforcer la part de l’herbe dans la ration par exemple, associée à une baisse des effectifs animaux permettrait de dédier une partie des surfaces agricoles à la production de végétaux pour les êtres humains.
Le cas pratique d'une ferme polyculture-élevage
Engagé depuis 2016 dans le projet Life Beef Carbon, Nicolas Onfroy, éleveur de vaches Limousines dans la Manche, œuvre à réduire l’empreinte carbone de sa ferme. Après une reconversion professionnelle, l’éleveur a repris la ferme familiale en 2014. Il élève 100 vaches de races limousines en agriculture biologique sur 170 hectares de prairies permanentes. Après un diagnostic CAP’2ER précis de ses pratiques (gestions du fumier, alimentation du troupeau), le bilan tombe : l’empreinte carbone de sa ferme est de 2,5 kilos équivalent CO2 par kilo de viande vive produite. C’est un bon résultat quand on sait que la moyenne mondiale est de 27 et que la moyenne nationale des éleveurs avec une ferme équivalente, s’élève à 12 kg équivalent CO2 par kilo de viande vive produite. Son secret, une stratégie d’alimentation basée sur l’herbe !
Son objectif étant de réduire son empreinte carbone au maximum, avec l’appui du projet Life Beef Carbon, il a cherché des marges de progrès. Son plan d’action est d’une part, de travailler sur des progrès techniques avec un suivi encore plus pointu de ses animaux pour produire un maximum de viandes en utilisant le minimum de ressources. D’autre part, en produisant de l’énergie issue des haies et du solaire. Ce plan d’actions permet de réduire son empreinte carbone nette à 1,8 kg eq CO2/kg de viande vive produite, voire même de la rendre nulle si on cumule la production d’énergie.
Source : Réussir Bovin viande, Chez Nicolas Onfroy : « Tendre vers une viande zéro carbone », Publié le 17 décembre 2019 – Par Cyrielle Delisle
Nos sources
Expertise collective « Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe », publiée par l’INRA en 2016
Expertise collective « stocker du carbone dans les sols français : quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? » publiée en 2019
Gac A., Espagnol S., Ponchant P., Dusart L. publiée en 2019, Que nous apprennent les bilans environnementaux des élevages ? Pratiques d’élevage et environnement: mesurer, évaluer, agir. Edition Quae
Benoit M., Dumont B., Barbieri P., Nesme T. publiée en 2020, Une agriculture durable pour nourrir la planète : l’élevage au cœur du débat. Innovations Agronomiques 80. 23-32
Mottet, A., de Haan, C., Falcucci, A., Tempio, G., Opio, C., Gerber, P., 2017. Livestock: on our plates or eating at our table? A new analysis of the feed/food debate. Glob. Food Sec. 1–8. https://doi.org/10.1016/j.gfs.2017.01.001.
Van Zanten, H.H.E., Meerburg, B.G., Bikker, P., Herrero, M., de Boer, I.J.M., 2016. Opinion paper : the role of livestock in a sustainable diet : a land-use perspective. Animal 10, 547–549. https://doi.org/10.1017/S1751731115002694.
Van Zanten, H.H.E., Van Ittersum, M.K., De Boer I.J.M., 2019 The role of farm animals in a circular food system Glob. Food Sec. https://doi.org/10.1016/j.gfs.2019.06.003
Muscat, A., de Olde, E.M., de Boer, I.J.M. , Ripoll-Bosch R., 2019.The battle for biomass: A systematic review of food-feed-fuel competition. Glob. Food Sec. https://doi.org/10.1016/j.gfs.2019.100330
“L’eutrophisation”, 06/2014, Planet-Vie, https://planet-vie.ens.fr/thematiques/ecologie/gestion-de-l-environnement-pollution/l-eutrophisation