La Ferme des Filles est une ferme collaborative familiale, créée par des femmes en pays gascon. C’est une ferme maraîchère située sur un terrain d’une dizaine d’hectares et cultivée sur environ 1,5 ha. On y trouve 1500 m2 de parcelle maraîchère en planches permanentes, un début d’aspergeraie, un verger d’arbres fruitiers, un espace pour les petits fruits rouges et un atelier de 250 poules pondeuses. Les cofondatrices sont également en train de développer la culture des plantes aromatiques et médicinales (PAM). Cette activité agricole se double d’une activité touristique puisqu’il est possible de séjourner à la ferme dans l’un des cinq charmants gîtes qui sont sur place. Il y a quasiment une personne à temps plein sur l’éco-tourisme.
Aujourd’hui elles sont locatrices avec un bail emphytéotique de 40 ans signé avec la commune de Captieux
Séduit·es par l’histoire de la Ferme des Filles (et par leurs gîtes) nous sommes parti·es à leur rencontre (virtuelle) et avons voulu comprendre les raisons de leur association, les forces de leur modèle unique mais aussi les défis humains et juridiques inhérents à une installation à plusieurs.
La Ferme des Filles, un projet de ferme collaborative et familiale qui naît naturellement
La genèse de la Ferme des Filles
Cette ferme, c’est une histoire de femmes. D’ailleurs Sophie nous a fait remarquer en riant au téléphone qu’elles sentaient bien qu’”elles étaient dans le vent” avec leur projet agricole exclusivement féminin. Pourtant ce n’est pas comme ça qu’elle se définissent en premier.
Car cette ferme, c’est aussi et avant tout une histoire familiale. Essayons d’expliquer cela simplement…. la ferme des Filles a été créée par Sophie, Cécile, Jeanne et Julie, deux paires de sœurs qui sont aussi paires de cousines : Sophie est la grande sœur de Cécile et la cousine de Julie. Julie est la cousine de Cécile et la grande sœur de Jeanne. Jeanne est la cousine de… On vous a perdu·e ? C’était fait exprès mais c’est un peu ce que l’on a ressenti quand Sophie nous a expliqué les liens entre elles au téléphone. Pour faire simple voici un petit schéma (fait maison, soyez indulgent·es !) :
Comment en sont-elles arrivées là ? Pour elles, le collectif c’était dès l’enfance qu’elles y ont baignées. Elles ont toutes les quatre grandi dans un hameau familial, au cœur d’une forêt domaniale aux portes du Médoc. Il y a une quinzaine d’hectares pour plusieurs familles : pas de barrières, pas de clôtures et un grand espace collectif pour partager une vie commune.
Alors il y a trois ans, quand la vie a fait qu’elles se sont toutes les quatre retrouvées à une étape charnière de leur parcours professionnel et personnel, c’est tout naturellement qu’elles ont envisagé un projet commun. Et puis encore aujourd’hui, ces liens familiaux créés par une enfance passée toutes ensemble font preuve de leur force et de leur richesse. Il n’y a qu’à voir lorsqu’elles font appel à la famille pour des chantiers participatifs, ils se retrouvent facilement très nombreux ! On appelle ça des cousinades utiles 🙂
Toutes les quatre étaient presque novices dans l’agriculture et le tourisme, Sophie la doyenne avait de multiples casquettes et une petite formation agricole, Cécile sa petite sœur opérait dans le milieu du social. Julie, leur cousine, venait du milieu humanitaire. Seule Jeanne, la benjamine, venait de passer son BPREA en Plantes à parfums aromatiques et médicinales (PPAM) et était diplômée de l’École des Plantes de Paris et avait donc un bagage agricole théorique et “officiel” pour se lancer dans l’aventure.
Il y a trois ans, Jeanne venait de finir son BPREA et ne voulait pas forcément se lancer toute seule. Ça tombait bien, sur le plan personnel, Sophie avait déjà entamé un retour à la campagne et vers l’autonomie alimentaire, Cécile travaillait dans une épicerie solidaire à Bordeaux et voulait passer à autre chose. Quant à Julie, elle était fraîchement rentrée du continent africain et des circonstances familiales la rendait prête pour un changement.
Toutes les quatre avaient envie de travailler à la campagne et mener des actions qui avaient du sens, elles ont donc décidé de “nourrir les gens en prenant soin de la terre et des êtres humains.”. Même si cette volonté est très “permaculture”, elles se défendent de toute étiquette. Leur objectif c’est surtout de travailler sur un sol vivant, de ne pas tuer ce qu’elles ont sous les pieds mais au contraire de le régénérer.
2018, l’année de l’installation !
En 2018 elles ont donc décidé de s’installer et ont trouvé un lieu. Elles recherchaient au départ des terres à acheter mais sont finalement parties sur une location avec un bail emphytéotique (on en parlait dans l’article sur la ferme de Froidefontaine) auprès de la commune de Captieux.
Trouver un site est souvent un casse-tête pour les porteur·ses de projet (lien ancre guide agricole : trouver le foncier), ce qui a fait la différence pour le groupe c’est d’en parler à énormément de personnes autour d’elles. Elles en parlaient à leurs ami·es, à leur famille mais elles allaient aussi contacter des communes et à la rencontre des acteurs du coin. Un technicien a pris connaissance de leur projet, en a parlé aux communes aux alentours et il s’avère que la Mairie de Captieux cherchait un ou des porteur·ses de projet pour un site.
Le bail agricole peut être compliqué si le terrain n’a pas suffisamment de bâti. Ici elles s’en sortent bien puisqu’elles ont loué le terrain avec un séchoir à tabac où elles entreposent aujourd’hui le matériel mais surtout qui est en train d’être transformé en séchoir professionnel pour leurs plantes médicinales et aromatiques, une bergerie, une grande salle pour accueillir des évènements, une maison landaise qui est le lieu collectif mais qui sera bientôt transformée en restaurant ainsi que les gîtes qui étaient déjà en place.
En 2019 c’était donc leur première saison agricole avec de la production. Ensuite, 2020 fut une saison toute particulière : le COVID les a forcées à fermer leurs gîtes pendant de nombreux mois. 2021 sera donc leur troisième saison. Pour elles, ces deux premières saisons furent surtout des saisons d’investissement dans leur outil de production : le sol. Cela fait deux ans qu’elles le régénèrent et le rendent plus riche et plus arable avec des engrais verts, du compost, du fumier et des techniques de Maraîchage en Sol Vivant (MSV).
Comme vous pouvez le constater, seulement une douzaine de mois se sont écoulés entre le désir d’installation et l’installation réelle. Sans hésitation, elles expliquent cela par le fait qu’elles se connaissent extrêmement bien depuis leur enfance et qu’elles étaient en phase sur les valeurs fondatrices et les objectifs du groupe.
Choisir la structuration juridique d’une ferme collaborative ? Un casse-tête !
La première réponse de Sophie quand on lui pose une question sur la structuration juridique de la Ferme des Filles ? “Une galère sans fin”. Elle précise cependant qu’elles se sont très bien faites accompagner par une juriste de la chambre d’agriculture ainsi que par des ami·es et par leur famille. Pour elle c’est sans équivoque, pour trouver sa structuration juridique il est indispensable d’être accompagné·es car c’est un milieu à part entière très complexe à comprendre.
Surtout qu’aujourd’hui les chambres prennent conscience que les micro-fermes sont intéressantes donc elles peuvent et veulent les accompagner. Cependant elles ont plus de mal à s’adapter aux projets de groupe et à leur complexité, mais cela évolue dans le bon sens.
Elles ont choisi le modèle de la SARL puisque leur société dégage des bénéfices agricoles et commerciaux. Le choix de la société civile agricole (EARL ou GAEC par exemple) leur était impossible car leurs revenus non-agricoles allaient dépasser la limite légale des 30% des bénéfices totaux. Elles ont préféré une SARL à une SAS pour éviter d’avoir un président tournant. Elles ont également mis de côté le format de la SCOP (Sociétés Coopératives et Participatives) car le modèle du salariat ne leur convenait pas et la DJA n’aurait pas été accessible.
Le modèle juridique de la SARL leur apporte le droit d’avoir une double activité agricole et commerciale et pourtant leur activité commerciale se trouve limitée. En effet, elles ont toutes le statut d’exploitantes agricoles. Or la Mutualité Sociale Agricole (MSA) demande en échange de ce statut à ce qu’elles ne dégagent pas plus de 50% de leurs revenus via des activités non agricoles. Dans les premières années d’exercice, quand la production agricole n’est pas à son optimum mais que les gîtes sont directement exploitables c’est une condition qui complique énormément la situation. Elles ont dû minimiser l’activité des gîtes pour garantir leur statut d’exploitante agricole…. On peut comprendre la frustration que cela crée, surtout lorsque l’on a choisi une structure juridique expressément pour exercer la double activité.
Autre complexité de la situation en ferme collaborative : seule Jeanne a fait le parcours d’installation JA donc seule elle bénéficie de la dotation jeune agriculteur. Cependant les quatre associées, et non uniquement Jeanne, doivent répondre à la condition de dégager un SMIC au bout de 5 ans pour avoir le droit aux 20% restants de la dotation.
Sophie nous glisse à ce moment-là qu’elle a du mal avec cette appellation d’exploitant·e agricole choisie par la MSA : elles n’exploitent rien du tout, elles coopèrent avec les sols et la nature. On est assez d’accord avec elle !
La Ferme des Filles, un accompagnement du groupe décidé à un moment clé
L’intégration d’une personne médiatrice pour sécuriser les liens familiaux et le projet
Le début de l’aventure c’était “ le pays des Bisounours”, tout le monde avance avec une envie commune de mener à bien le projet. Les valeurs sont partagées, les quatres comparses se connaissent bien. Au bout de deux ans, les différences de caractères et de tempéraments se font ressentir et ne sont pas forcément reconnues et exploitées. C’est une épreuve pour le “précieux facteur humain” qui est la clef de voûte d’un collectif.
Il y a un an, elles ont décidé de faire appel à une personne pour jouer le rôle d’accompagnatrice du groupe. Cette médiation est venue à point nommé et a porté ses fruits. Aujourd’hui les relations sont plus apaisées et les quatre filles de la ferme s’entendent toujours aussi bien. Elles pensent avoir fait appel à cette personne au bon moment. En effet, avant de décider de l’intervention d’une personne extérieure, elles avaient construit le groupe sur la solidité de leurs liens familiaux. Liens très forts comme l’exprime Sophie “même si on s’engueule, on sait que l’amour est là.” (bien sûr cela dépend de la nature du lien familial). Le moment où elles ont décidé de faire appel à une médiatrice c’est lorsqu’elles ont senti que ces liens familiaux pourraient s’abîmer à force de désaccords.
Si l’accompagnement était devenu crucial et que le moment semblait bien choisi c’était aussi parce que la situation des quatre co-fondatrices avaient changé. Si elles s’étaient toutes lancées dans le projet en tant que célibataires, les voici toutes aujourd’hui en couple avec en sus l’arrivée d’un bébé. Cela a bien sûr chamboulé les rythmes, les niveaux d’implication et les relations entre soeurs et cousines.
L’accompagnement en pratique
L’accompagnement se traduit par une réunion d’une journée par mois au cours desquelles elles font des tours de table pour savoir comment tout le monde se sent et pour présenter des situations à potentiel conflictuel qu’elles vont démêler avec la médiatrice.
Le prix a été décidé librement avec la personne intervenante qui voulait soutenir leur projet, chacune mettant 50€ par mois dans cet accompagnement.
En parallèle de cette réunion d’une journée, Sophie, Cécile, Jeanne et Julie se retrouvent tous les lundis matins pour planifier la semaine et les priorités.
Elles font aussi attention à créer des moments de convivialité hors cadre de travail, afin de pouvoir se détendre toutes ensembles.
La Ferme des Filles, une ferme pleine de souvenirs et d’avenir
De nombreux moments joyeux qui justifient les efforts du quotidien
Une ferme collaborative, c’est un lieu propice à la création de très beaux souvenirs humains. Pour Sophie un moment clé fut l’inauguration en mai 2019 : un très beau moment qui présageait de tout ce qui était à venir pour la Ferme des Filles.
Pour elle, chaque saison a son lot de bons souvenirs. L’hiver ce sont les moments au coin du feu avec une tisane dans la main, en train de rêver au futur. Le printemps quant à lui apporte de la joie, les framboisiers montrent leur jeunes pousses et elles lancent les semis. L’adrénaline de la saison commence à monter. L’été elles aiment beaucoup accueillir les wwoofeurs et ceux et celles venant donner un coup de main. Ils et elles passent de très belles soirées sur la terrasse, une bière à la main. Et enfin l’automne c’est le moment de faire du bois et ce moment bien connu des agriculteur·rices où… on a hâte que ça se calme.
Le COVID a également apporté quelques bons souvenirs malgré la situation générale. Pour éviter les contacts et fournir en légumes les voisins et voisines qui étaient fortement demandeur·ses, elles ont monté un point de vente auto-géré dans un four à pain. Une petite boîte était disponible pour y glisser le montant des achats. Travail réduit pour elles et voisin·es heureux·ses, un système idéal qu’elle comptent bien remettre en place avec les nouvelles récoltes.
La Ferme des Filles en 2025 ?
Comment Sophie voit-elle la Ferme des Filles en 2025 ?
“J’imagine que l’on a réussi à faire notre jardin-forêt (arbres fruitiers, petits fruits, légumes). Avec de beaux arbres en pleine forme, qui protègent les plus petits, qui protègent à leur tour les légumes. J’espère aussi que nos planches maraîchères seront de plus en plus faciles à travailler. Maintenant que l’on s’est cassé le dos et les articulations pendant quelques années. J’ai envie de préserver ma santé !
J’imagine une ferme qui est restée à taille humaine, avec de la végétation qui a grandi et poussé. Avec encore plus d’oiseaux, d’insectes et de vivants. Et que beaucoup de monde vienne partager avec nous ces beaux moments (et nous acheter des trucs, c’est comme même ça qui nous fait gagner notre vie !). J’ai envie d’avoir des écoliers en classe verte chez nous afin de continuer le partage et la transmission. Et puis des concerts aussi !”
Quelques conseils pour les porteur·ses de projet
Le premier conseil à donner est celui de rester ouvert·e à recevoir des conseils, que ces derniers soient sollicités ou non. Et lorsqu’on l’on a une question, ne pas se contenter d’une seule réponse mais au contraire aller demander plusieurs avis. Surtout, ne pas hésiter à se faire accompagner dans la construction de son projet. Et puis parler de son projet à tout le monde autour de soi, vous ne savez pas qui pourra vous mener jusqu’au terrain de vos rêves !
Un autre conseil classique mais essentiel : il faut prendre soin de soi, on peut rapidement se perdre en allant tête baissée et sans garde-fou. Cela mène à la blessure, à l’épuisement et on perd pied. Et puis lorsqu’on est la tête dans le guidon (ou dans la grelinette) on perd de vue la réalité et les objectifs.
Il y a plein de façons de prendre soin de soi. Par exemple en continuant à être en lien avec les autres (les proches, la famille, les amis ou juste des personnes bienveillantes comme des voisin·es ou des client·es). Surtout que les autres voient des choses que l’on ne voit pas forcément
Sur le projet en lui-même, elles conseillent de démarrer petit, d’essayer de s’organiser et d’être efficace. Si on n’a jamais été organisé·e dans sa vie, il peut être bien de se faire accompagner et de mettre en place des outils spécifiques pour cela. Sinon le risque est de perdre beaucoup, beaucoup de temps. Si vous êtes sur un projet de groupe, il faut mettre en place des protocoles communs (réunions, rangements, process de vente, etc.) et essayer de les suivre. Le collectif apporte beaucoup en règle générale et même dans un projet tout seul il faut penser collectif (demander de l’aide aux agriculteur·rices voisin·es, parler au voisinage, être présent·e au niveau de la commune, etc.).
Et dernier conseil : plantez des arbres !
Pour aller plus loin...
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