Juliette Vigato

-

Mis à jour le

31/10/2024

Installation agricole

Femme et Agriculture

Les femmes face au défi de l’installation agricole

Imaginez-vous une exploitation agricole... Par qui est-elle dirigée ? Par un homme ? Sans doute, n’avez-vous pas envisagé une seconde que le chef d’exploitation puisse être une cheffe ?

Juliette Vigato

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Mis à jour le

31/10/2024

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Femme et Agriculture

Sommaire
Sommaire

Faisons une petite expérience de pensée. Imaginez-vous une exploitation agricole... Par qui est-elle dirigée ? Par un homme ? Sans doute, n’avez-vous pas envisagé une seconde que le chef d’exploitation puisse être une cheffe ? 

On ne peut pas vous blâmer : l’imaginaire collectif est puissant et comme dans un grand nombre de secteurs, les femmes ont longtemps été invisibilisées dans le milieu agricole. Pour autant, en France, aujourd’hui près d’un chef d’exploitation agricole sur 4 est une cheffe, selon la MSA.

À l’occasion de la Journée des Droits des Femmes, FEVE vous propose dans cet article de faire le point sur la place des femmes dans le secteur agricole en France ainsi que sur les obstacles spécifiques qu’elles peuvent rencontrer dans leur parcours d’installation agricole.

Un petit rappel historique s’impose

À commencer par une anecdote qui parle d’elle-même : le mot “agricultrice” n’est intégré au Larousse qu’en 1961.

En effet, l’agriculture a longtemps été une affaire d’hommes avec une transmission systématique de père en fils et des femmes relayées au rang d’”aide” dans le prolongement de leur rôle de femme d’intérieur et de mère de famille. Dans les années 60, avec la montée en puissance des revendications féministes portant sur la reconnaissance du travail des femmes d’une part et la transformation en profondeur de l’activité agricole d’autre part, la lente marche vers l’égalité s’enclenche.

En 1962, la création des GAEC (Groupements Agricoles d’Exploitation en Commun) permet aux agriculteurs de s’associer, séparant pour la première fois le statut professionnel de la situation familiale. Cette loi, porteuse d’espoir pour les femmes, a en réalité surtout favorisé l’association des pères avec leurs fils s’apprêtant à reprendre l’exploitation puisque les deux époux ne pouvaient pas être les seuls associés d’un GAEC - il faudra attendre 2011 pour que le GAEC entre époux soit instauré. 

Par la suite, de nouveaux statuts voient le jour comme celui d’”associée d’exploitation” en 1973 puis de “co-exploitante” en 1980, ainsi que de nouvelles possibilités d’associations comme l’EARL (Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée) qui permet aux conjoints de s’associer tout en séparant leurs tâches. La Loi d’Orientation Agricole de 1999 instaurant le statut de “conjoint collaborateur” est une avancée majeure ouvrant l’accès à la protection sociale. Le début du XXIème siècle a aussi été le théâtre d’avancées majeures comme l’extension de la couverture sociale pour les conjointes d'exploitants en 2006. Jusqu’en 2014, une femme avait encore besoin de l’autorisation de son mari pour se déclarer à la MSA.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Où en est-on de la marche vers l’égalité pour les femmes agricultrices ? 

En 2021, le ministère de l’Agriculture a publié une infographie sur la place des femmes dans le monde agricole. Les femmes représentent 30% des actifs permanents et 24% des exploitants agricoles, contre 8% en 1970. Ces chiffres sont à nuancer puisque parmi les femmes cheffes d’exploitations, seules 21% d’entre elles sont cheffes d’exploitation de manière indépendante contre 62% de co-exploitantes avec leurs époux et selon la MSA, 10,5% de ces femmes sont par ailleurs devenues cheffes lorsque leur conjoint est parti à la retraite. 

Quoi qu’il en soit, il est indéniable que la profession se féminise, ce que viennent également confirmer les chiffres de l’enseignement agricole : 49% des effectifs de l’enseignement agricole (contre 41% en 1995) et 62% des étudiantes dans l’enseignement agricole supérieur. Elles occupent toujours une part prépondérante dans les filières de services et de transformation mais gonflent de plus en plus les rangs des filières liées à la production - plus d’une femme sur 3 suit une spécialité “production agricole”.

En outre, les femmes représentent plus d’un tiers des nouvelles installations chaque année - 39,4% en 2021 selon la MSA. Le parcours d’installation agricole est déjà un défi conséquent pour toutes et tous, peu importe leur genre. Mais les femmes rencontrent également des obstacles spécifiques lorsqu’elles cherchent à devenir ou sont cheffes d’exploitation agricole. 

Quels sont ces obstacles spécifiques rencontrés par les femmes qui souhaitent s’installer ?

En 2020, la FADEAR a publié une étude très éclairante sur les enjeux de l’installation des femmes paysannes. Les obstacles rencontrés par les femmes sont nombreux tout au long de leur parcours d’installation.

D’abord, la réglementation n’est encore pas totalement égalitaire même si des progrès notoires ont été réalisés ces dernières années : à titre d’exemple, il a fallu attendre 2019 pour que les modalités du congé maternité des agricultrices, telles que la durée minimale ou les indemnités journalières en cas de non-remplacement, soient alignées avec celles des salariées et des indépendantes. La mise en application des dispositifs d’aides n’est également pas toujours égalitaire, bien qu’aucune discrimination de principe ne soit de mise : En croisant les données des Points Accueil Installation avec celles de la Dotation Jeune Agriculteur.rice, la FADEAR déduit dans son étude qu’un faible pourcentage des aides revient aux femmes qui s’installent. 

Mais en réalité, nombre de freins à l’installation des agricultrices découlent non pas de la réglementation mais de la prégnance du sexisme ordinaire dans le secteur agricole. À chaque étape de leur parcours d’installation, les femmes doivent faire face à des préjugés :

En amont de leur parcours d’installation

Certaines femmes reçoivent un soutien limité de la part de leur entourage (25% des femmes interrogées par la FADEAR le ressentent ainsi) et il faut souvent la présence d’un homme dans le projet d’installation (conjoint ou associé) pour rassurer l’entourage. Les femmes se heurtent aussi à des préjugés qui remettent en cause leur capacité à s’installer en tant que cheffe d’exploitation. À titre d’exemple, les préjugés sur la force physique sont très répandus alors même qu’aujourd’hui, les modes de production et outils disponibles peuvent permettre à tout un chacun de pratiquer des cultures autrefois réservées aux hommes.

Pendant leur parcours d’installation

Beaucoup des installations féminines se font Hors Cadre Familial ou sur des exploitations de petite taille ou atypiques par rapport au modèle classique d’une exploitation (agriculture biologique, productions minoritaires, ateliers de transformation, etc.), ce qui peut exacerber les préjugés et ne facilite pas l’installation. Anne-Marie Baudon, productrice de Cognac, installée en 2005, déclarait lors d’une table ronde organisée par Vox Demeter au Salon de l’Agriculture 2023 qu’elle ne compte plus le nombre de fois où elle a entendu “ma pauvre fille !” notamment quand elle cherchait à développer des systèmes innovants ou plus vertueux. Lors de cette même table ronde, Bastien Boudet, coordinateur transmission de fermes chez Eloi, partageait son expérience des différences de réactions des propriétaires cédants face à une repreneuse potentielle par rapport à son homologue masculin, ce qu’il attribue notamment au décalage générationnel.

Une fois installée

Ces difficultés ne disparaissent évidemment pas car le sexisme est très répandu dans le milieu agricole. Il fait partie du quotidien de la cheffe d’exploitation, que ce soit dans les interactions avec les fournisseurs, les négociations avec les acteurs de la commercialisation (comme les coopératives) ou simplement les relations avec les exploitants voisins, notamment pour les agricultrices installées seules et/ou qui ne sont pas “fille de” ou “soeur de”.

©Photo Valentin Izzo - Ferme de Barthouil (64) - Agricultrice : Nicole T.

Et alors, on fait quoi ?

Évidemment, le travail de fond sur le plan légal et réglementaire est nécessaire et doit être poursuivi si l’on veut atteindre l’égalité femmes-hommes dans l’agriculture. La réforme des retraites qui se joue actuellement est d’ailleurs un moment charnière puisqu’aujourd’hui, les pensions des agricultrices sont significativement inférieures à celles de leurs homologues masculins, révélant les inégalités liées au statut qui subsistent dans le secteur. 

Pour autant, puisque l’inégalité prend ses racines dans un sexisme systémique, la féminisation du secteur doit également s’accompagner de changements de mentalité et cela peut passer par plus de représentativité d’une part et plus de visibilité d’autre part.

En effet, il est crucial de donner aux femmes la place qui leur revient dans les instances de représentation et les organisations professionnelles agricoles (OPA). Depuis 2013, chaque liste électorale des chambres d’agriculture a désormais l’obligation de présentation au moins ⅓ de candidates, ce qui correspond plus ou moins à la proportion de femmes parmi les actifs du secteur. Ce quota, aussi bienvenu soit-il, ne doit pas occulter les disparités réelles au sein du réseau des chambres d’agriculture, notamment en ce qui concerne les postes à responsabilité - depuis les élections de 2019, seuls 8% des présidents sont des présidentes, selon un rapport d’information déposé à l’Assemblée Nationale en 2020.

Au-delà de la représentation dans les instances, donner davantage de visibilité aux femmes en agriculture et les ériger en modèles de réussite est également crucial afin de changer le regard porté sur les agricultrices et d’en inspirer d’autres.

Créer des espaces d’entraide et d’échanges entre femmes qui s’installent est également une approche bénéfique pour faire tomber les barrières psychologiques.  “Beaucoup de femmes n’y vont pas simplement parce qu’elles n’osent pas”, disait Christiane Lambert, présidente de la FNSEA lors de la table ronde organisée par Vox Demeter, une jeune association justement dédiée aux femmes du monde agricole. Tous.tes les participants.es à cette table ronde ont d’ailleurs mentionné l’importance d’être en réseau pour les femmes qui cherchent à s’installer. Les CIVAM ont notamment une douzaine de groupes en non-mixité pour permettre aux paysannes de “gagner en autonomie dans une atmosphère rassurante d’écoute et d’échanges”. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle certaines femmes créent des collectifs non mixtes, comme c’est le cas des Paysannes en Polaire. Pour en savoir plus sur ce collectif, n’hésitez pas à lire leur BD “Il est Où le Patron? Chronique de Paysannes”, écrit avec Maud Bénézit ou à écouter le podcast “Les Couilles à la Ferme” (Parties 1/2 & 2/2) par Victoire Tuaillon.

Pour conclure, s’il faut encore vous convaincre que ce qui est bon pour les femmes est bon pour toute la société, alors mettons en avant l’espoir que représente la féminisation de l’agriculture pour l’agroécologie : de par la socialisation des rôles féminins et masculins, les agricultrices ont tendance à privilégier des systèmes plus vertueux socialement et environnementalement parlant (circuits courts, biodiversité, ressources locales, bien-être animal, etc.). Anne-Marie Baudon remarque également la tendance des femmes “à faire attention à faire davantage attention au côté social et au bien-être des salariés sur l’exploitation”. Collectivement, nous avons donc toutes et tous intérêt à faciliter l’installation des femmes.

Comment agissons-nous ?

Chez FEVE, nous œuvrons quotidiennement pour lever la barrière du financement du foncier pour permettre aux agriculteurs.rices de demain de s’installer en agroécologie, sans distinction de genre mais en ayant toujours conscience des enjeux spécifiques rencontrés par les agricultrices.

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©Photo Valentin Izzo - Ferme de Barthouil (64) - Agricultrice : Nicole T.

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