Il y a une dizaine d’années, les grandes institutions internationales ont fait le constat qu’il était urgent de transformer nos systèmes alimentaires pour les rendre plus durables et plus résistants face aux perturbations liées au changement du climat.
En 2017, lors de la COP 23 à Bonn, la communauté internationale a adopté une décision visant à mettre en place un groupe de travail sur l’agriculture. L’Action commune de Koronivia pour l’agriculture a pour but d’examiner ensemble les questions relatives à l’agriculture et la sécurité alimentaire, en tenant compte de la vulnérabilité de l’agriculture face aux changements climatiques. Voici un bref résumé du rapport produit par ce groupe de travail.
Pourquoi l’agroécologie entre dans le débat ?
L’agroécologie existait bien avant que le changement climatique ne soit considéré comme une menace majeure pour les secteurs agricoles, il ne s’agit donc pas d’une approche spécifiquement conçue pour faire face au changement climatique.
Ainsi, les qualités de résilience au climat qui ont été examinées dans cette étude sont plutôt le fruit du recensement d’un maximum d’études décrivant les effets généraux des pratiques agroécologiques.
Comment l’agroécologie est-elle définie ?
Selon ce rapport, on assiste, depuis quelques années, à une multiplication des définitions de l’agroécologie. Il y a, cependant, un consensus sur le fait que l’agroécologie représente un concept dynamique et apparaît sous trois dimensions : une science transdisciplinaire, un ensemble de pratiques et un mouvement social.
La FAO identifie les principes agroécologiques à quatre échelles différentes : la parcelle, la ferme ou le ménage, le paysage ou la communauté, et enfin l’échelle du système alimentaire.
Parmi ces principes agroécologiques, dix éléments sont retenus par l’organisation. Les six premiers éléments se rapportent à la description des caractéristiques communes des systèmes agroécologiques, des pratiques fondamentales et des approches de l’innovation : diversité, synergie, efficacité, résilience, recyclage, co-création et partage des connaissances. Deux se concentrent sur les caractéristiques du contexte : les valeurs humaines et sociales ; la culture et les traditions alimentaires. Enfin, les deux derniers font référence à « l’environnement favorable » aux systèmes agroécologiques : gouvernance responsable, économie circulaire et solidaire (FAO, 2018b).
Ces différents éléments s’insèrent à différentes étapes de la transition vers un système alimentaire durable, décrites par Gliessman (2014). Les différents niveaux de cette transition présentés dans la figure suivante partent d’un niveau zéro, représentant la non intégration de l’agroécologie dans les pratiques de productions, à une reconstruction complète d’un système alimentaire mondial plus durable et équitable pour tous.
« Résilience » face au changement climatique, quésako ?
Le changement climatique affecte, et devrait affecter davantage dans les années à venir, l’agriculture et la sécurité alimentaire de diverses manières et les effets seront spécifiques à chaque secteur et à chaque région, les zones arides étant les plus touchées. Le défi pour les exploitations agricoles sera d’être à minima moins vulnérables ou mieux encore de pouvoir augmenter leur capacité d’adaptation ou leur résilience.
La vulnérabilité est la mesure dans laquelle un système pourrait être affecté par des chocs et des contraintes (changement et variabilité climatiques) en fonction de sa capacité d’adaptation (GIEC, 2012).
La capacité d’adaptation comporte deux dimensions : la reprise après les chocs et la réaction au changement.
La résilience, au contraire, est définie comme la capacité d’un système à absorber le choc, à maintenir sa fonction pendant le choc ou la capacité à revenir à son état fonctionnel avant le choc (GIEC, 2012).
Résultats de la méta-analyse : le potentiel de l’agroécologie pour s’adapter et accroître la résilience au changement climatique
Le rapport fait état des résultats d’une étude bibliographique conduite sur 34 méta-analyses comprenant des résultats synthétiques quantifiés sur le potentiel des pratiques agroécologiques sur la résilience face au changement climatique, et 17 études de cas (sur 185 recensées). Cette synthèse met en avant des tendances claires.
Les résultats montrent premièrement, que les pratiques et caractéristiques essentielles des systèmes de productions agroécologiques, telles que l’utilisation d’engrais organiques, une plus grande diversité des cultures, des systèmes à faible niveau d’intrants, l’agriculture biologique ou l’agroforesterie présentent une corrélation significative avec de bonnes performances concernant un certain nombre de caractéristiques du sol et d’aspects de la biodiversité (par exemple, la teneur en carbone organique du sol, la biodiversité du sol, la biomasse et l’activité microbienne du sol, l’abondance des nématodes et des vers de terre et la richesse des espèces), qui sont des aspects centraux de l’adaptation au changement climatique.
D’autres part, les études répertoriées décrivent de manière récurrente les co-bénéfices d’atténuation des principales pratiques et caractéristiques des systèmes de production agroécologiques en particulier sur le stockage de carbone.
L’agroforesterie, les pratiques efficientes en utilisation d’eau, le recyclage de biomasse et les rotations culturales sont les pratiques les plus étudiées. Plus globalement, les six éléments « liés à la production » de l’agroécologie, c’est-à-dire efficacité, recyclage, réglementation, diversité, résilience, synergies, couvrent au total 90 % des études recensées.
Le rapport de la FAO met toutefois en avant un manque de représentation des aspects systémiques. Environ 40 % des pratiques signalées dans les études se réfèrent au niveau 3 de Gliessman, c’est-à-dire à « reconcevoir l’agroécosystème pour qu’il fonctionne sur la base d’un nouvel ensemble de processus écologiques », tandis que près de 50 % se réfèrent aux niveaux inférieurs 1 et 2, où aucune refonte des systèmes de production n’a lieu. Seulement 10 % environ des pratiques se réfèrent au niveau 4 et 5.
Ce qu’il faut également retenir, c’est que 50% de ces études de cas soulignent l’importance des aspects institutionnels, tels que l’environnement propice à l’adoption de pratiques agroécologiques, au transfert et à l’échange de connaissances, à la co-création de connaissances, aux services de vulgarisation et de conseil (participatifs) et l’accès aux capitaux. Les études soulignent que sans ces éléments « d’environnement favorable », les pratiques agroécologiques n’auraient pas été adoptées et leurs avantages en matière d’adaptation et d’atténuation n’auraient donc pas pu être réalisées.
Ce rapport met également en lumière plusieurs freins aux discussions sur l’agriculture et l’agroécologie dans le débat politique international sur le changement climatique. Pour commencer, la formulation « agroécologie » est souvent très politique. D’autre part, il existe un manque de sensibilisation, de visibilité et de communication sur l’agroécologie, en particulier auprès de certaines parties prenantes clés. De plus, l’absence d’une définition commune des concepts tels qu’agroécologie, techniques culturales simplifiées, agriculture de conservation, adaptation basée sur les écosystèmes, solutions basées sur la nature, etc. complique les discussions et l’appropriation des études scientifiques. Enfin, la multiplicité des indicateurs, des échelles d’études et d’évaluations fragilise l’adoption de pratiques agroécologiques. Par exemple, dans les discussions sur le changement climatique, l’accent est mis sur les émissions de carbone et de méthane au niveau des exploitations agricoles, alors que l’utilisation des terres à l’échelle territoriale est un point d’entrée essentiel pour l’agroécologie.
Pour conclure : augmenter la capacité d’adaptation, réduire la vulnérabilité, et les co-bénéfices de l’atténuation
Le rapport conclut que l’agroécologie s’appuie sur des pratiques et des caractéristiques clés qui donnent de bons résultats en ce qui concerne la santé des sols et à la biodiversité, mais aussi la productivité et la stabilité des rendements. Ces indicateurs sont fortement corrélés avec l’adaptation et la résilience au changement climatique. L’atténuation présente également des avantages connexes, principalement liés à l’augmentation de la matière organique du sol (séquestration du carbone) et une utilisation réduite des engrais minéraux azotés.
D’autre part, les aspects institutionnels, tels que la co-création et la diffusion des connaissances par le biais de services de conseil et les approches d’agriculteur à agriculteur ont un rôle clé à jouer pour soutenir le développement, l’amélioration et l’adoption de l’agroécologie. Pour soutenir l’agroécologie et favoriser la résilience climatique, il est essentiel d’établir et de renforcer des connaissances fonctionnelles et spécifiques au contexte et des systèmes d’innovation participative.
La FAO appelle donc à la promotion de l’agroécologie pour renforcer la résilience, et la désigne comme une stratégie viable d’adaptation au changement climatique.
Quels enseignements pour Fermes En Vie ? Co-construire un système alimentaire durable et résilient est au coeur de notre démarche. Pour cela nous souhaitons favoriser la mise en place de pratiques agroécologiques, telles que l’utilisation d’engrais organiques, un allongement des rotations, une augmentation de la diversité des cultures et des élevages, une augmentation de l’autonomie alimentaire des troupeaux, l’implantation de parcelles en agroforesterie.
Retrouvez le rapport intégral de la FAO sur : http://www.fao.org/3/cb0438en/CB0438EN.pdf
Et pour en savoir plus sur l’Action commune de Koronivia pour l’agriculture : http://www.fao.org/3/ca6910fr/ca6910fr.pdf